Entretien avec Alexandre Drouard, fondateur et président de Terroirs d’Avenir, une entreprise qui compte 14 boutiques à Paris, de la boulangerie à la boucherie.
Gabriel Laborde pour agriculture-circulaire.fr : Pouvez-vous nous raconter le début de votre aventure, avec Terroirs d’Avenir ?
Alexandre Drouard : Je suis né et j’ai grandi à Paris, dans une famille où la cuisine et l’alimentation tenaient une place centrale. Mon père, en particulier, était membre de l’association Slow Food, ce qui m’a sensibilisé dès mon jeune âge à l’importance de l’alimentation durable et de qualité. Une fois à l’école de commerce, j’ai rapidement réalisé que ce milieu ne me correspondait pas vraiment. L’accent était uniquement mis sur la rentabilité et la gestion financière, sans véritable considération pour le sens et l’impact des métiers. J’avais besoin de trouver une voie qui résonnait davantage avec mes valeurs personnelles.
Votre père a joué un rôle important dans votre parcours vers l’agriculture ?
En effet, l’influence de mon père a joué un rôle déterminant. À travers lui, j’ai découvert l’importance de préserver les savoir-faire artisanaux, les richesses du monde paysan et la passion de la cuisine. Je me suis intéressé de plus près à des produits locaux et traditionnels, souvent menacés de disparition, à la notion de terroir, évidemment. Ces produits, parfois oubliés, avaient un goût exceptionnel et représentaient un patrimoine culturel précieux. Ils étaient pourtant de plus en plus rares sur les marchés parisiens.
C’était une véritable prise de conscience ?
J’ai pris conscience que notre alimentation avait un impact considérable sur l’environnement et sur la société. Aujourd’hui, l’alimentation représente environ 25 % des émissions de gaz à effet de serre en France, c’est plus que l’industrie. Je trouvais par ailleurs révoltant que des agriculteurs et des artisans, qui travaillent dur pour produire des aliments de qualité, aient tant de mal à en vivre décemment. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer une entreprise qui promeut une alimentation durable, respectueuse de l’environnement et socialement juste. La philosophie du mouvement Slow Food, avec son triptyque du « bon, propre et juste », m’a particulièrement inspiré pour créer Terroirs d’Avenir. Je voulais défendre une agriculture paysanne qui produit des aliments nutritifs, savoureux et respectueux de la biodiversité et des écosystèmes.
Quand a commencé l’aventure Terroirs d’Avenir ?
En 2008, avec un ami rencontré en classe préparatoire, nous avons décidé de concrétiser ce projet. Nous avons déposé les statuts de notre entreprise et avons entrepris un tour de France pour rencontrer directement les producteurs. Nous voulions comprendre leur savoir-faire, découvrir leurs produits et établir des relations de confiance. Cela nous a permis de nous immerger dans leur réalité, de comprendre les défis qu’ils rencontrent et d’apprécier la qualité exceptionnelle de leurs produits.
Avant de devenir cette belle entreprise, vous avez été petit…
Nos débuts ont en effet été modestes. Nous travaillions chez mes parents, gérant nous-mêmes toutes les opérations : des livraisons à la comptabilité. Notre première clientèle était composée de chefs, car nous savions qu’ils pouvaient devenir les ambassadeurs de ces produits rares et précieux. Les chefs sont des prescripteurs de goût, et leur validation était essentielle pour crédibiliser notre démarche. Pendant quatre ans, nous avons travaillé d’arrache-pied, souvent dans des conditions difficiles. En 2012, nous avons franchi une étape importante en ouvrant notre première boutique rue du Nil à Paris. Cela nous a permis de nous adresser directement au grand public et de proposer une gamme plus large de produits. Nous avons dû nous adapter et apprendre de nouveaux métiers, devenant bouchers, poissonniers, primeurs, et même boulangers.
Qu’est-ce qui est au cœur de votre démarche ?
Notre démarche repose sur un principe fondamental : l’adaptation de la demande à l’offre. Nous travaillons en étroite collaboration avec les producteurs pour respecter les cycles naturels et les saisons. Cela signifie que nos clients doivent accepter certaines contraintes, comme l’absence de certains produits hors saison ou des quantités limitées. Nous mettons ainsi un point d’honneur à valoriser l’ensemble de l’animal ou de la plante. Par exemple, en boucherie, nous achetons des carcasses entières et nous devons trouver des moyens créatifs de valoriser tous les morceaux. La plupart des consommateurs veulent les mêmes morceaux, les morceaux dits nobles : le filet, le carré, l’onglet…
Où se situe le problème ?
Il n’y a que deux filets sur un bœuf. Ces parties dîtes nobles ne représentent que quelques kilos sur la carcasse de l’animal. Il est important de consommer tous les morceaux. Or les gens consomment moins de plats comme le Bourguignon ou le pot-au-feu, qui utilisent des morceaux de viande moins prisés et qui exigent des temps de cuisson plus longs. Cela demande une approche pédagogique pour expliquer aux clients pourquoi certains produits sont disponibles à certains moments et pas à d’autres. Il faut savoir dire non, et proposer autre chose à cuisiner et à déguster.
Il y a un enjeu important autour de la viande, en particulier ?
L’enjeu autour de la viande est de mieux consommer, car 12% des émissions de gaz dans le monde proviennent de l’élevage. Notre approche est de garantir une viande de qualité, issue d’élevages durables où l’on prend soin de la biodiversité et qui se développent sur un modèle extensif, c’est-à-dire où les animaux sont élevés en plein air dans des conditions garantissant leur bien-être, nourris à l’herbe et avec une alimentation certifié non-OGM. Nous travaillons principalement avec des éleveurs dont les animaux sont des espèces rustiques, que ce soient des vaches (Pie Noire, Gasconne, Percheronne…), des moutons (Manech tête noire, Solognot, île de France…) ou des porcs (Blanc de l’Ouest, Gascon, Kintoa…). Celles-ci sont plus résistantes aux maladies, adaptées au climat et aux terroirs où elles vivent. Cela donne des viandes de grande qualité, goûteuses.
Comment encouragez-vous les gens à se remettre aux fourneaux et à utiliser ces morceaux ?
La clé de la transition, c’est la cuisine. Cuisiner pour mieux se nourrir et cuisiner également pour faire des économies. Il faut réapprendre à cuisiner pour que la cuisine ne reste pas un simple loisir. En boutiques, nous expliquons aux gens comment cuisiner avec des recettes simples des produits qu’ils ne connaissent pas forcément. Quand ils essayent et qu’ils goûtent chez eux, ils voient la différence et se rendent compte que ce n’est pas si dur de s’y mettre. Ils gagnent en goût, en santé et en coûts. Et cuisiner permet de se détendre, de créer des recettes et de faire plaisir aux autres et à soi aussi. Il y a aussi un vrai succès autour des émissions culinaires, où des plats traditionnels sont revisités.
Et les agriculteurs et les éleveurs, qu’est-ce qu’ils trouvent avec vous ?
Ils trouvent quelqu’un qui les comprend, qui sait qu’ils doivent aussi gagner leur vie. Ils trouvent une relation de confiance, avec une entreprise qui défend, valorise et vend leurs produits. Nous allons sur le terrain pour rencontrer des producteurs, comme celui qui fait les meilleures fraises à 20 km de Paris. Il était presque prêt à arrêter son activité, mais nous avons trouvé des moyens de vendre ses produits à bon prix. Cela a un impact énorme.
Où en est votre entreprise aujourd’hui ?
Nous travaillons avec plus de 300 productrices et producteurs, fournissons 250 restaurants, avons 14 boutiques à Paris dont trois boucheries et deux épiceries où l’on vend de la viande, une poissonnerie, des boulangeries et une crèmerie. Nous nous sommes historiquement installés dans des rues où les loyers ne coûtent pas trop cher. Souvent, ce sont des rues avec peu de passage, alors nous devons créer du flux. C’est essentiel de créer une destination avec l’ensemble de nos boutiques, avec une offre suffisamment large et cohérente. Aujourd’hui, notre entreprise compte 140 salariés, une équipe passionnée et engagée qui apporte chaque jour sa pierre à l’édifice en soutenant un modèle agricole vertueux.
Qu’est-ce qui vous motive ?
Rester fidèle à notre mission : promouvoir une alimentation durable, respectueuse de l’environnement, et accessible au plus grand nombre. Nous croyons fermement que chacun a un rôle à jouer dans la transition alimentaire, du producteur au consommateur, en passant par les commerçants qui font de la pédagogie et conseillent leurs clients. Notre aventure est avant tout une histoire de passion et de conviction. Nous sommes persuadés que changer notre façon de produire et de consommer peut avoir un impact positif sur notre santé, notre environnement et notre société. Nous espérons continuer à inspirer et à sensibiliser le plus grand nombre à ces enjeux cruciaux.
Quelle est votre ambition pour l’avenir ?
Nous voulons continuer à avoir un impact, nous développer dans la restauration, et proposer une alimentation saine et durable. Nous croyons à l’alliance entre les savoir-faire ancestraux et les progrès techniques. La biodiversité est la manière la plus logique et rentable de produire une alimentation saine et durable. Notre enjeu est de proposer une alimentation qui n’ait pas d’impact négatif sur la santé et l’environnement, et qui assure l’avenir de nos terroirs, et des femmes et des hommes qui en vivent.
Pensez-vous à ouvrir des restaurants un jour ?
Cela pourrait être une idée, mais nous sommes déjà très occupés, et c’est un autre métier…