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L’élevage a toute sa place dans un système d’agriculture durable

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il y a 2 jours

Entretien avec René Baumont :

René Baumont, directeur de recherches à l’INRAE, travaille sur la valorisation des fourrages par les ruminants et sur les systèmes d’élevage herbager. Il dirige le GIS Avenir Elevages, qui regroupe 23 partenaires impliqués dans la transition agroécologique. Dans cet entretien, il revient en profondeur sur les défis majeurs de l’agriculture durable, la place de l’élevage dans ce contexte, ainsi que sur les solutions concrètes et les perspectives d’avenir pour la profession. Entretien conduit par Gabriel Laborde.

Vous travaillez depuis plusieurs décennies sur l’élevage et la valorisation des fourrages. Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de votre parcours et de vos travaux de recherche ?

Je suis entré à l’INRA en 1984 et ai d’abord travaillé sur la nutrition des herbivores, en étudiant les facteurs influençant la consommation de fourrage par les ruminants. Mon premier axe de recherche concernait le comportement alimentaire des bovins et ovins, notamment la manière dont ils ajustent leurs prises alimentaires en fonction du type de fourrage. J’ai ensuite approfondi la prévision de la valeur nutritionnelle des fourrages et l’optimisation de leur utilisation pour limiter les apports en compléments alimentaires.

Par la suite, je me suis orienté vers une approche systémique de l’élevage, en mettant l’accent sur la durabilité des systèmes herbagers et leur impact environnemental. Cette transition s’est accompagnée de travaux sur la gestion des prairies, la fertilisation naturelle par les effluents d’élevage et les interactions entre biodiversité et production animale. En tant que directeur du GIS Avenir Elevages, je coordonne aujourd’hui des recherches qui rassemblent scientifiques, formateurs et professionnels pour favoriser un élevage durable et intégré aux territoires.

Je participe également à des projets européens, comme l’Infrastructure SmartCow que je coordonne, qui vise à fédérer les infrastructures de recherche sur les bovins, ainsi qu’au programme AgroServ, qui rassemble 11 infrastructures de recherche pour accompagner la transition agroécologique.

 

Quels sont, selon vous, les grands défis à relever pour l’élevage dans une agriculture plus durable ?

Je distingue quatre défis majeurs. Le premier est une évidence : il faut renouer le dialogue avec la société. Il est essentiel de rappeler que l’élevage rend de nombreux services écologiques et économiques. Il joue un rôle clé dans la réduction de la dépendance aux intrants chimiques, la fertilité des sols et l’entretien des paysages ouverts, favorisant ainsi le tourisme rural. Aujourd’hui, l’image de l’élevage souffre parfois de critiques, alors qu’il existe des modèles très vertueux, et que notre élevage, en France, est parmi les plus vertueux.

Le second défi consiste à améliorer la santé et le bien-être animal. Les avancées en matière d’élevage permettent de concilier production et bientraitance animale, mais il faut éviter une stigmatisation excessive des éleveurs et promouvoir les bonnes pratiques. Le bien-être animal est un sujet de plus en plus central dans les préoccupations sociétales, et les éleveurs doivent être accompagnés pour mettre en place des solutions adaptées.

Le troisième est très important et concerne la profession : il est d’assurer le renouvellement des générations. L’élevage doit redevenir attractif pour les jeunes en offrant des modèles économiquement viables et compatibles avec une meilleure qualité de vie. Actuellement, les taux de renouvellement des chefs d’exploitation sont préoccupants, notamment dans les filières bovines où seulement 40 à 50 % des départs sont compensés par des installations.

Mais il y a un quatrième défi, qui englobe tous les autres, à savoir l’adaptation de l’élevage, comme de l’ensemble de l’agriculture, au changement climatique. D’une part, les élevages doivent réduire autant que possible leur empreinte carbone, avec la question majeure des gaz à effet de serre et en particulier du méthane pour les ruminants, et, d’autre part, ils doivent s’y adapter, en adaptant les ressources alimentaires et les systèmes fourragers et en faisant face à de nouvelles maladies.

Comment concrètement transformer l’élevage pour le rendre plus durable ?

L’élevage a toute sa place dans un système d’agriculture durable, en particulier l’élevage à l’herbe qui constitue un levier majeur. Il permet une alimentation à faible impact écologique, favorise la biodiversité et joue un rôle essentiel dans le maintien des paysages pastoraux. En privilégiant des prairies diversifiées et en optimisant le pâturage, on peut améliorer à la fois la productivité et la résilience des exploitations face aux aléas climatiques, et réduire les coûts de production en réduisant les apports extérieurs. L’utilisation des prairies et des légumineuses est également favorable à la diminution des émissions de gaz à effet de serre par l’élevage.

Un autre élément à mettre en œuvre relève du bon sens, non ?

Oui, l’utilisation de sous-produits agricoles riches en protéines (tourteaux de colza, certains co-produits céréaliers) ou en énergie (pulpes de betteraves) permet d’éviter la compétition avec l’alimentation humaine et de maximiser l’utilisation des ressources. Aujourd’hui, environ 80 % des aliments consommés par les animaux d’élevage ne sont pas directement valorisables par l’homme, ce qui montre que l’élevage peut s’intégrer intelligemment dans les systèmes agricoles.

Vos recherches évoquent aussi un couplage entre les différents types d’exploitations agricoles ?

En effet, le couplage élevage-grandes cultures est aussi une piste d’avenir. Aujourd’hui, la spécialisation des territoires a conduit à une séparation entre zones d’élevage et zones de culture. Il faut encourager des collaborations entre agriculteurs pour favoriser des échanges de matières organiques (effluents, paille, etc.) et diversifier les assolements en réintroduisant des légumineuses fourragères, comme la luzerne. La notion d’échelle de territoire où ces pratiques s’exercent est importante. On ne peut pas imaginer que des fumiers ou des lisiers traversent la France pour fertiliser des champs à des centaines de kilomètres de leur lieu de production. Apporter de la mixité, élevage, grande culture, sur les territoires est une solution d’avenir, qui permettra aussi de réduire l’empreinte carbone de l’agriculture et de s’adapter au changement climatique.

Un débat existe autour de la consommation de viande, dans notre alimentation, notamment d’origine bovine. Qu’en pensez-vous ?

La viande est montrée du doigt de façon excessive selon moi, souvent de manière discutable. L’élevage contribue à une alimentation équilibrée pour l’humain. Les protéines animales jouent un rôle clé dans l’apport nutritionnel, car elles contiennent des acides aminés essentiels que l’organisme ne peut pas synthétiser seul. Selon les recommandations des nutritionnistes, une alimentation équilibrée repose sur une répartition d’environ 50 % de protéines animales et 50 % de protéines végétales. La viande, notamment issue d’élevages de qualité, apporte aussi des nutriments essentiels comme le fer, la vitamine B12 et certains acides gras qui sont moins présents dans les sources végétales. Par ailleurs, la consommation a plutôt tendance à se stabiliser, en France, et en Europe, contrairement à une idée reçue. Et on demande aux éleveurs de produire moins… Faut-il encourager l’importation de viande, avec un bilan carbone bien moins intéressant, sans parler des conditions d’élevage ? Cette tendance ne me semble ni bonne pour nos éleveurs, ni bonne pour nos consommateurs en attente de produits de qualité.

La technologie occupe une place de plus en plus importante dans nos vies et le monde du travail. Quel est l’apport de la technologie pour la transition agroécologique ?

La technologie est un outil à double tranchant. D’un côté, elle permet des gains de productivité et de bien-être pour les éleveurs, comme les robots de traite qui facilitent le travail. De l’autre, elle peut poser des problèmes, notamment en incitant à un élevage plus intensif et moins en lien avec la nature. Il est donc nécessaire de trouver des équilibres, en utilisant les innovations technologiques tout en maintenant des pratiques écologiquement responsables.

Par exemple, les outils d’alimentation de précision permettent d’éviter le gaspillage et d’optimiser les rations en fonction des besoins réels des animaux. Des systèmes de suivi par capteurs du comportement et de certains paramètres physiologiques des animaux aident également à mieux détecter les problèmes sanitaires et à améliorer la gestion des troupeaux.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes qui envisagent une carrière dans l’élevage ?

L’élevage est un secteur passionnant, qui permet une grande autonomie et un contact privilégié avec la nature et les animaux. Cependant, il présente aussi des contraintes : revenu parfois faible, astreintes de travail importantes. Il est donc crucial d’aborder son exploitation comme une entreprise, en misant sur la vente en circuit court, la transformation des produits et la diversification des activités. Il faut aujourd’hui, je crois, regarder davantage ce métier comme un métier d’entrepreneur, à la tête d’une PME, capable de créer des emplois, de renouer du lien social, de générer des revenus suffisants et d’être vertueux en termes de pratiques environnementales.

L’exemple d’un éleveur ayant repris en Auvergne une ferme expérimentale avec 180 vaches laitières est révélateur : il a converti l’exploitation en bio, mis en place une production fromagère à la ferme, installé un méthaniseur pour valoriser les effluents et générer de l’énergie, et ouvert un magasin à la ferme. Ce modèle permet non seulement d’augmenter la rentabilité, mais aussi de créer des emplois et de renforcer le lien social.

La nouvelle génération a un rôle clé à jouer dans la transformation de l’agriculture. Il faut encourager l’esprit entrepreneurial et favoriser des modèles qui allient respect de l’environnement, qualité des produits et viabilité économique.

 

Image de René Baumont

René Baumont

René Baumont est ingénieur agronome de l’INA-PG (1984) et a obtenu son doctorat en 1989 et l’Habilitation à Diriger des Recherches en 2003. René Baumont est directeur de recherches à l’INRAE et conduit des travaux de recherches sur la valorisation des fourrages par les ruminants qui se sont concrétisés par la rénovation des Tables de valeur des aliments à usage des professionnels de l’alimentation animale et il a animé une équipe de recherche sur les systèmes d’élevage herbager. Il assume des responsabilités au niveau européen où il conduit depuis 2018 un consortium scientifique (projet Infrastructure SmartCow) fédérant les infrastructures de recherche expérimentale sur les bovins. Il participe à un nouveau projet AgroServ intégrant 11 autres infrastructures de recherche dans une offre de services large sur la transition agroécologique qui a été labellisé en 2022. Au niveau français, il assure la direction du GIS Avenir Elevages depuis 2019 qui fédère 23 partenaires de la recherche, de l'enseignement supérieur et des filières animales, et conduit des actions pour aider le secteur de l'élevage à faire face aux enjeux de la transition écologique et sociétale des productions animales. Depuis 2012, il est éditeur en chef de la revue scientifique de synthèse et transfert INRAE « Productions Animales » publiée en accès libre intégral depuis 2018. Depuis 2022, il est membre de l’Académie d’Agriculture.

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