Stéphanie Hein, Meilleur Ouvrier de France en boucherie.
Stéphanie Hein a vécu toute son enfance à la campagne, près de Tours. Elle est aujourd’hui propriétaire d’une boucherie en Indre-et-Loire, à Montlouis-sur-Loire. A 32 ans, Stéphanie Hein est l’un des meilleurs ouvriers de France en boucherie, un titre décroché en 2022. Elle livre ici son parcours, ses souvenirs et sa passion pour son métier.
Gabriel Laborde : À quel moment avez-vous décidé de devenir une femme boucher ?
Stéphanie Hein : J’ai décidé de me diriger vers la boucherie au printemps 2012. À l’époque, j’avais effectué un stage de 15 jours qui a confirmé mon choix. Rien ne me prédestinait à exercer le métier de boucher, personne de ma famille n’est dans les métiers de bouche, ni même dans le commerce. J’avais quelques amis qui s’étaient dirigés vers l’apprentissage, ce qui était considéré à tort comme une voie de garage à l’époque.
On dit souvent que les passions naissent dans l’enfance…
Stéphanie Hein : C’est vrai. J’ai passé mon enfance chez mes grands-parents agriculteurs, et à l’étranger pendant mes grandes vacances. Ils avaient un élevage de vaches, moutons, poules, et cultivaient la terre, produisaient des céréales et des légumes. Ma grand-mère m’a fait abattre ma première volaille, à l’âge de 12 ans. C’était tout nouveau, elle nous a appris à peser notre acte, nous invitant à comprendre que l’on sacrifiait un animal pour se nourrir. De là, avec mes petits frères et mes cousins, nous avons tous participé à la plumer, la vider, la cuisiner. On attendait tous à côté de la marmite « le moment » pour y goûter, enfin cuite. C’est un beau souvenir qui me reste, nous étions tous ensemble réunis, à rire. Il y avait aussi ce fameux moment, avec le petit doigt, où deux d’entre nous s’affrontaient pour tirer le bréchet. Celui qui avait le plus petit morceau d’os perdait et offrait un soda à son rival. Mais ma grand-mère achetait une grande bouteille pour nous tous.
Votre relation au monde paysan est très forte, tout comme votre relation aux produits…
Stéphanie Hein : Quand j’étais enfant, j’accompagnais mes oncles dans les champs, qui labouraient la terre à l’ancienne avec un cheval de trait, faisant des allers-retours, dans cette odeur particulière de terre fraîche. À d’autres moments, je participais à l’irrigation des cultures à la bêche, observant l’eau qui se faufilait jusqu’aux plantations. J’adorais voir les cultures remplies d’eau. Cela me faisait penser à des rizières. Rien ne peut être meilleur que de cueillir directement dans les potagers, une tomate, un concombre et de croquer dedans à pleines dents. Ce goût si pur que je ne retrouve plus aujourd’hui, je le retrouvais sur les marchés locaux, remplis de couleurs et d’odeurs si variées et enivrantes. Ensuite on se rendait au marché aux bestiaux, où se vendaient aux enchères les taureaux, les béliers, les chevaux, les plus beaux sujets mâles pour la reproduction.
Qui vous a donné le goût de la cuisine ?
Stéphanie Hein : J’ai grandi à la campagne, où l’on connaît tout le monde et tout le monde nous connaît, au sein d’une famille multiculturelle. Il y avait beaucoup de vie à la maison. Des voisins, des amis, de la famille… Tout était l’occasion de cuisiner ! Auprès de mon père, j’ai appris à cuisiner les plats traditionnels français : le bœuf bourguignon, le lapin à la moutarde, le veau marengo, le poulet basquaise, etc. J’allais avec lui chez le boucher chercher la viande. J’adorais cette odeur particulière et j’adorais regarder ces bouchers à l’œuvre. Ils étaient les acteurs d’un spectacle où se répétaient les mêmes actions ; j’écoutais le bruit des outils utilisés par ces hommes. Avec ma mère, j’ai appris la pâtisserie, mais ce n’était pas trop mon truc. Elle m’apprenait aussi à traiter et cuisiner les abats, j’aimais bien. On préparait la langue de bœuf, les pieds de veau, les tripes de bœuf, les brochettes d’abats. Bref, j’avais toujours les mains dedans.
Qui vous a formé à ce métier de boucher ?
Stéphanie Hein : Je me suis formée à ce métier de boucher au fur et à mesure des années en ayant la soif du savoir, la faim insatiable d’apprendre. La diversité des entreprises y est pour quelque chose. Chacune d’entre elles travaille à sa façon, suivant ses convictions, répondant aux diverses demandes de la clientèle, elle-même influencée par sa zone géographique d’implantation, etc. Ma formation découle également de multiples rencontres professionnelles, dans mon métier de boucher, mais aussi en côtoyant des métiers parallèles à la filière viande (charcutier, traiteur, cuisinier, tâcheron… etc.). J’ai vu des choses à ne surtout pas reproduire, mais j’ai vu des choses extraordinaires ! Certains professionnels m’ont plus marquée que d’autres.
Comment s’est déroulé votre apprentissage ?
Stéphanie Hein : J’étais chez un patron artisan, qui était dur, mais juste. J’étais en deuxième année de brevet professionnel. Il a sérieusement affiné mes connaissances de la viande. Caractériel et haut en couleurs, il n’a pas tardé à m’emmener avec lui à Rungis ! Il s’approvisionnait là-bas depuis 25 ans, connaissait tout le monde et était réglé comme une horloge dans ses achats de marchandises. Je l’ai observé, notamment dans sa manière de choisir les carcasses. Il ressentait la viande, lui qui était fils et petit-fils de boucher. Comment il la touchait, comment il regardait à certains points précis les différents critères recherchés : l’état d’engraissement, la conformation, la couleur de la viande, la tendreté, etc. À terme, il m’a confié la tâche de choisir les carcasses. Tantôt il validait, parfois on débattait. J’ai eu cette chance, et celle aussi de pouvoir couper des carcasses sur place en vue de préparer mon examen. Il m’a également beaucoup appris sur les relations commerciales, comment savoir négocier. Une fois l’examen obtenu, mon employeur m’a promue cheffe boucher de suite, à la tête d’une équipe de 5 personnes.
Quelle rencontre vous a marquée en particulier ?
Stéphanie Hein : La vie est faite de rencontres. Parmi celles qui m’ont marquée, l’une s’est produite par hasard. Alors que je préparais mon premier concours en tant que professionnelle « confirmée », je travaillais en binôme avec un boucher. Celui-ci faisait intervenir un Meilleur Ouvrier de France pour des conseils. Il ignorait ma présence et moi aussi. De nature discrète, j’écoutais tout en travaillant. Une fois que ce Monsieur eut terminé avec mon coéquipier du jour, naturellement il est venu à moi, et m’a donné quelques conseils. Ce premier contact fut dur, moi qui n’avais rien demandé, mais qui en même temps souhaitait par-dessus tout m’améliorer. Cette journée a été l’une des plus bénéfiques de toute ma vie. J’ai fait un choix, celui du travail bien fait, de l’excellence. Pendant des années, nos destins se sont croisés avec ce grand Monsieur de la boucherie, jusqu’à ce que je m’inscrive à la sélection du concours M.O.F. (Meilleur Ouvrier de France). De là, me confirmant que j’avais bien progressé, il m’a accompagné de nouveau de loin. J’ai validé la sélection et suis passée en finale, et là il m’a accompagné de plus près. C’est un honneur d’avoir partagé ces moments et ces échanges de travail avec lui.
Devenir Meilleur Ouvrier de France, en boucherie, c’est une recherche de l’excellence. D’où vous est venue la motivation pour atteindre ce Graal ? Qui a cru en vous, vous a soutenu dans cet engagement qui demande des années de travail et de préparation ?
Stéphanie Hein : La motivation de cette recherche d’excellence est un croisement de beaucoup de choses. J’ai vécu un drame familial, et je me suis complètement remise en question. Je me suis dit qu’il fallait se prendre en main. Quitte à travailler une bonne partie de son existence, autant faire quelque chose qu’on aime, car on n’a pas l’impression de travailler. Et quitte à faire quelque chose, autant le faire bien. La visée de l’excellence est venue naturellement, depuis la période de l’apprentissage, où il me tenait à cœur de faire du bon travail et précis. Ma famille, mes amis, et surtout le dévouement de mon conjoint y sont pour beaucoup. Quand on se lance dans une telle aventure, tout l’entourage y glisse involontairement et sous différentes formes. Cela exige une abnégation sans limite. Je ne pourrais jamais assez remercier mon conjoint de m’avoir accompagnée comme il l’a fait.
Être boucher, c’est aussi être artisan et commerçant. Comment voyez-vous votre relation avec vos clients ?
Stéphanie Hein : C’est essentiel qu’un professionnel donne le meilleur de lui-même pour satisfaire le client. Notamment dans les métiers alimentaires, et plus précisément dans mon métier, celui de boucher, qui est le seul métier où je produis et je vends à mon client. Il faut donc maîtriser la cuisine. Et là il n’y a pas de secret, il faut s’y mettre, tester les associations, goûter les différents morceaux, s’essayer aux différentes cuissons. Oui parfois on rate, mais c’est aussi comme ça que l’on apprend. Me concernant, il est primordial que je comprenne les attentes du client, ses besoins et ses goûts. Enfin, je peux cibler sa recherche et c’est notre rôle de valoriser l’intégralité de la carcasse, d’argumenter et d’expliquer le morceau, sa fibre, son nom, tout simplement d’éduquer le client en étant transparent. Il n’y a pas que de la poire et de la bavette, d’autres morceaux sont délicieux.
Être une femme, la seule MOF, en boucherie, sacrée en 2022, en France, donc dans un monde d’hommes, ça représente quelque chose pour vous ?
Stéphanie Hein : Être une femme dans un milieu d’hommes, vraiment, à mes yeux il n’y a pas de notion de genre. Je suis là pour le travail ; qu’on soit un homme ou une femme, le principal est d’aimer ce que l’on fait. Oui c’est vrai, j’ouvre la voie, j’œuvre pour la jeune génération, afin de transmettre à mon tour ce que l’on m’a transmis. J’ai eu énormément de témoignages de reconnaissance de femmes dans mon métier et en général, de salariées, de cheffes d’entreprises, d’apprenties et de jeunes professionnelles. Cette gratitude me touche profondément.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez enfilé la veste avec le col bleu-blanc-rouge ? Et vos proches ?
Stéphanie Hein : J’ai ressenti beaucoup de fierté en enfilant la veste au col tricolore. C’était un mélange d’accomplissement et de renouveau. Mes proches étaient émus et fiers de moi. C’est aussi une pression de tous les jours, une responsabilité et un engagement envers l’excellence et la transmission du savoir-faire dans ce métier.
Qu’aimez-vous dans le monde de la viande, de la boucherie ?
Stéphanie Hein : Ce que j’aime dans le monde de la boucherie, c’est que l’on travaille plusieurs espèces, bœuf, veau, agneau, porc, volaille, des espèces qui ne se travaillent pas de la même façon les unes des autres. Chacune va avoir ses spécificités, des points précis de découpe, de désossage, de parage, de ficelage. Également, on travaille différemment suivant les saisons, les événements de l’année. Aussi, les tâches diffèrent en permanence, on peut effectuer de la production au laboratoire, ou être à la vente, ou en livraison… Il y a différents aspects de notre métier qui sont plaisants à exercer.
Comment travaillez-vous avec les éleveurs ?
Stéphanie Hein : Avec les éleveurs, j’ai établi mes critères selon mes choix, convictions et les attentes de la clientèle en étant très sélective. Toutes les semaines, on s’appelle et je lui passe la commande de la carcasse à recevoir au début de la semaine suivante. Mon travail consiste à magnifier celui des éleveurs, à être créative pour donner envie.
Quels sont vos trois morceaux de viande préférés ?
Stéphanie Hein : J’affectionne particulièrement le paleron qu’il soit à griller ou à braiser, le persillé surtout sa pointe, et le nerveux de gîte qui se cuisine en cuisson longue, c’est extra.
Un conseil pour la cuisson de la viande ?
Stéphanie Hein : Si je dois prodiguer un conseil général pour la cuisson, c’est de sortir la pièce de viande selon sa grosseur entre 30 minutes et 1 heure du réfrigérateur et de bien laisser reposer la pièce de 2 à 10 minutes selon la taille du morceau sous un film aluminium ou film étirable à la fin de la cuisson dans le cas d’une pièce à cuisson rapide. Pour une pièce de cuisson longue, je dirais que le mieux est de cuisiner la veille pour le lendemain, et de laisser mijoter à feu très doux. Le réchauffage du lendemain permet un nouveau mariage des saveurs entre la pièce de viande et les jus de cuisson. La viande, confite, sera infiniment tendre et savoureuse.