Par Elisa Gautier, fondatrice du restaurant et traiteur kiosk (Paris), chroniqueuse et consultante food.
Il n’est de secret pour personne, à moins de vivre dans une grotte, que la consommation de viande est depuis une décennie au cœur de débats houleux. C’est devenu un sujet brûlant de joutes violentes, opposant politiques, éleveurs, nutritionnistes, militants, humains.
Il existe pourtant un endroit où ce genre de sujet peut trouver un espace apaisé d’échanges, de discussions, de créativité et de plaisir : la cuisine. D’une certaine manière, pour sortir de ces polémiques par le haut en se mettant aux fourneaux.
En France, mais aussi chez nos voisins anglo-saxons ou même danois, il me semble que les restaurateurs engagés, d’aucuns diront bobos, comme nous au kiosk (restaurant et traiteur parisien) ont adopté une démarche que je résume ainsi : manger de la viande, mais version mieux. Dans cette démarche, ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité du produit, et la façon dont nous prenons soin de lui en cuisine. Une façon pour nous de prendre de la hauteur, de défendre des valeurs, et de conserver notre art et notre passion pour les saveurs.
Certains esprits et talents de mon époque ont inspiré ma démarche et conforté mon engagement. Bertrand Grébaut est l’éminent chef et fondateur de Septime. Il m’expliquait en 2020 : « le plus important, c’est l’inversion des proportions des protéines (animales) et du végétal ». Un rééquilibrage des assiettes donc, mais surtout un sourcing ultra pointu, des viandes françaises, d’animaux élevés en plein air.
Dans notre restaurant, kiosk, au cœur du 2e arrondissement à Paris, la viande a donc une place particulière. Elle est rarement la pièce centrale, mais plutôt l’invitée surprise. Elle est un bonus, une cerise sur le gâteau. Une source de goût, de textures, de saveurs et de créativité.
Agriculture vertueuse et éleveurs engagés
Prenons par exemple un de nos plats chouchou. Sarah, cheffe extraordinaire, décline la polpette sous toutes ses formes. Bœuf, porc, volaille, épinard, la boulette est versatile et régressive. Sarah reçoit la viande le jour-même, la mélange à de la chapelure, du parmesan, de l’ail, des œufs, les herbes qu’elle a sous la main, et peut-être de l’oignon, et des zestes de citron, si cela lui chante. Elle associe ces boulettes bien moelleuses à du petit épeautre, du riz de camargue, ou de la polenta, et arrose le tout d’une sauce tomate bien compotée.
Ainsi la viande compose finalement moins de 30% du plat mais apporte de la mâche, une satisfaction carnivore. Le plaisir de déguster de la viande n’en est pas moins présent, bien au contraire, elle est savourée. Ne valorise-t ’on pas plus ce qui est rare ? En même temps que nous défendons une agriculture plus vertueuse et des éleveurs plus engagés?
Pour des occasions particulières comme des prestations de traiteur, des grands banquets au restaurant et autres évènements grandioses, nous introduisons aussi d’autres viandes, comme l’agneau.
Le plus important à nos yeux reste le bien-être animal. Ainsi nous fouillons, nous enquêtons, quitte à froisser ou avoir l’air un peu inquisitrices.
Au démarrage du restaurant, nous sommes allés rencontrer Arnaud Billon, éleveur de bovins dans le Perche, pour comprendre dans quelles conditions vivaient les animaux, mais aussi nouer des liens directs avec les éleveurs comme Arnaud. Le circuit court dans son appareil originel : en effet, Arnaud permet à des petits restaurateurs comme nous de bénéficier de prix abordables en s’assurant d’une qualité optimale.
Joues de bœuf et ragoût d’agneau
Nous nous dirigeons également vers Terroirs d’Avenir pour dénicher de superbes agneaux de lait. Terroirs, pour les intimes, fut pionnier dans la distribution de produits issus d’agricultures et d’élevages durables aux restaurants et particuliers. Leur écrin originel Rue du Nil demeure mon lèche-vitrine favori.
Des élevages vertueux à l’assiette tout aussi vertueuse, il y en a. Aux diners de chef.fe.s du kiosk, Jordan Moilim – journaliste et chef – avait cuisiné un plat de paccheri à l’agneau et à la ‘nduja d’anthologie pour un grand dîner italien et des gnocchetti sardi à la joue de bœuf. May Jacquard, cheffe itinérante, avait travaillé le lapin dans un stiffado (plat crétois mêlant pruneaux, poireaux et orzo). Simon Auscher avait régalé les convives d’un ragoût d’agneau accompagnant un pressé de légumes.
Des moments de jouissance, où l’on apprécie d’autant plus le plat qu’il est singulier, extraordinaire, et que la viande trouve sa juste place dans nos assiettes, où elle est invitée en majesté pour y être savourée.