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L’élevage bovin français en quête d’avenir

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il y a 2 semaines

L’élevage en France n’a pas bonne presse. Les pratiques d’élevage sont de plus en plus discréditées par la perception qu’en ont les citoyens, et, parmi eux, des ONG qui mettent en avant la contribution des élevages aux émissions de G.E.S. La consommation de protéines animales est jugée quant à elle préjudiciable pour la santé publique, vision souvent relayée par le corps médical. Le métier d’éleveur n’attire plus beaucoup de jeunes du fait de mutations sociologiques qui participent de leurs aspirations à exercer d’autres professions, moins contraignantes et socialement plus valorisantes.

La viande bovine semble en première ligne dans ces critiques générales adressées à l’endroit de l’élevage. Des éleveurs de bovins qui, de plus, sont désormais exposés aux retombées potentielles d’accords de libre-échange, à l’image de celui signé avec le Mercosur, pouvant déstabiliser les filières concernées. Comment dès lors rebondir, régénérer une profession qui, dans le passé, a tant apporté aux équilibres alimentaires, à l’environnement, et qui conserve de puissants atouts pour se projeter dans l’avenir ?

Des constats bien établis

Les productions animales, c’est d’abord une question d’hommes et de femmes. Rien de très original à rappeler cette évidence, dans la mesure où, comme dans le reste de l’agriculture, l’acte de produire, consécutif en l’occurrence de pratiques d’élevage diversifiées, requiert la main, la vision, et, pour tout dire, le travail et le savoir-faire de l’éleveur. Au gré des recensements décennaux, un regard porté sur l’évolution du nombre d’éleveurs en France suggère de se convaincre de la baisse continuelle de ce nombre, et singulièrement en élevage bovin, qu’il soit à orientation laitière ou en viande (figure 1). De manière explicite, la lecture de ces évolutions renvoie à un enjeu central, celui du renouvellement des actifs. Du côté des cheptels, eux aussi sont frappés par cette spirale baissière qui, manifestement, semble inexorable, que ce soit en vaches allaitantes ou laitières.

Figure 1

 

Il est logique que, confrontés à un tel processus d’affaiblissement de l’offre nationale, les entreprises de la transformation se tournent vers les importations pour satisfaire des marchés sur lesquels la demande est encore dynamique, en viande comme en lait. Que ce soit en collecte laitière, en abattages d’animaux pour la viande, l’offre nationale est entrée dans un processus de rationnement. C’est pourquoi les résultats du commerce extérieur français en produits issus des élevages, sont de plus en plus déficitaire, à l’exception du poste produits laitiers, ce dernier restant le troisième excédent commercial agroalimentaire derrière la viticulture et les céréales. La figure 2 retrace l’évolution des échanges commerciaux français de viande bovine, réunissant les bovins vivants – une branche encore excédentaire – et la viande transformée – qui entrainent dans le déficit l’ensemble du secteur bovins viande.

Figure 2

Echanges commerciaux français de viande bovine

 

C’est pourquoi les préoccupations des éleveurs quant à l’application probable de l’accord UE-Mercosur sont légitimes. Un accord qui ouvre de ce fait la voie à des mesures futures des impacts sur une filière bovine qui, s’il est appliqué, mettra en concurrence les éleveurs français avec leurs homologues brésiliens, argentins, uruguayens, paraguayens, lesquels ont non seulement des différentiels de coûts de production très favorables, mais aussi des pratiques d’élevage bien différentes.

En synthétisant tous ces éléments, on peut dire que les taux d’auto-approvisionnement – l’un des indicateurs possibles de la souveraineté alimentaire de la France – sont contrastés, et, à bien y regarder, pas si catastrophiques qu’on le dit. Il avoisine les 95% en viande bovine (dépendance relativement faible aux importations de 21%, mais une dépendance qui s’alourdit depuis quelques années). En produits laitiers, à l’exception de la matière grasse (beurre) où la France est déficitaire, les taux d’auto-approvisionnement sont plutôt élevés, se situant entre 111 et 265%) (source : France Agri Mer).

On ne saurait terminer ce tour d’horizon de la situation économique des viandes sans faire un arrêt sur la variable consommation, puisqu’elle représente le principal débouché des éleveurs et des industriels de la transformation. Contrairement à une idée reçue, la consommation de viande en France ne s’est pas effondrée. Pour établir un diagnostic précis sur ce point, il est suggéré de bien préciser de quelle période on parle. Depuis les années 1980, la consommation totale de viande par an et par habitant, a reculé de 15 kg. C’est important bien-sûr. C’est en viande bovine que le recul a été le plus significatif : 11 kg, tandis que la consommation de porc n’a diminué que de 2 kg, et on observe une croissance régulière de la viande de volaille (de16,7 à 28,2 kg) (source : Agreste). En revanche, à se situer sur la période 2000-2022, la contraction de la consommation de viande bovine n’a reculé que de 3,5 kg (figure 3).

Figure 3

Consommation de viande en France (en 1000 tec)

 

Deux mots sur la demande de volaille, et essentiellement de poulet. Elle s’accroît depuis le début des années 2000. Cela s’explique d’abord par un coût d’acquisition modéré pour les ménages, ensuite par un apport protéique faible, et, enfin, par ce qu’il s’agit d’une viande ne souffrant d’aucun interdit religieux. En période d’inflation, il s’agit d’une viande très accessible. C’est d’ailleurs la viande la plus consommée au monde. D’une certaine manière, à elle seule, la volaille est emblématique de l’internationalisation des modes de consommation alimentaire.

2050 : La France détient des aouts incontestables

Pour décisifs qu’ils soient, ces constats méritent d’être dépassés et font appel à des décisions politiques et économiques en phase avec les défis que l’élevage doit relever. Comment l’élevage français pourra-t-il évoluer sur un horizon 2030-2050 ?

Le premier de ces défis est bien évidemment climatique. Or, l’élevage français a la capacité de répondre à cet enjeu climatique. Par des changements dans ses pratiques d’élevage, tant par le maintien des systèmes herbagers en bovins, que par l’évolution des races, par la prévention en matière d’épizooties, ou des composants incorporés dans les rations alimentaires données aux animaux (moins de soja, davantage de protéines produites sur le territoire). On sait par ailleurs que les prairies permanentes sont des puits de carbone, pouvant constituer ainsi un levier dans la lutte contre le dérèglement climatique. Dans ce défi, figurent aussi la présence des animaux et leur fonction d’entretien des paysages.

Le second défi est celui de la contribution de l’élevage aux équilibres alimentaires du monde. D’où qu’elles émanent, les projections relatives à la consommation mondiale de produits issus d’élevages convergent pour dire que, entre 2032 et 2050, voire au-delà, la population mondiale va consommer davantage de viandes et de produits laitiers. Ce sera essentiellement le cas en Asie et en Afrique. L’accroissement de la demande mondiale en viande serait compris, selon les espèces, entre 10 et 20%. L’offre mondiale devra répondre à ces besoins, sachant que la concurrence est déjà intense. Le savoir-faire, la qualité des produits français, et la logistique, forment des atouts pour se préparer à conquérir de tels marchés, soutenus par une élévation des niveaux de vie induisant un processus de transition nutritionnelle en faveur des protéines animales.

Bien entendu, ces perspectives favorables nécessiteront des politiques publiques adaptées. D’abord pour renouveler les critères sur lesquels l’attractivité du métier d’éleveur sera renforcée. Ensuite pour rémunérer la gestion des paysages et des prairies qui surgira de nouvelles pratiques d’élevage. Enfin, pour garantir des prix suffisamment régulés et éviter les crises de marché. Il y aura aussi à déployer une « logique partenariale » entre les acteurs au sein des filières, dont la finalité sera de rompre avec une « logique actionnariale » qui consiste trop souvent à capter de la valeur ajoutée au détriment de l’éleveur situé en amont de la chaîne d’approvisionnement. C’est à cette condition que la compétitivité des filières viandes, et notamment en bovins, se redressera durablement.

L’avenir de l’élevage bovin n’est pas dans le négatif, dans le discrédit permanent, comme on l’entend trop aujourd’hui, mais dans des perspectives nouvelles combinant à la fois les pratiques, l’économique, le social et l’environnemental. Nul doute que la France restera attachée à son histoire et à ses pratiques culinaires, à la variété de ses races de bovidés, dont les produits acheminés sur les marchés ont historiquement contribué à sa réputation dans le monde.

Thierry Pouch

Image de Thierry Pouch

Thierry Pouch

Economiste, chef du service études et prospective de Chambres d’agriculture France
Chercheur associé au Laboratoire Regards de l’Université de Reims Champagne Ardenne
Enseigne à l’IEDES de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de l’Académie d’agriculture de France

Derniers livres parus :
Essai sur l’histoire des rapports entre l’agriculture et le capitalisme, éditions Classiques Garnier, 2023
Géopolitique du sucre, IRIS éditions, 2023, avec Sébastien Abis

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